Obéir…
Obéissance, soumission mutuelle…
Quels concepts inquiétants ! Pourtant présents dans la Bible, en particulier dans la bouche de Jésus. Ce sont par
exemple les derniers mots de Paul avant les salutations finales de sa lettre aux Corinthiens, considérée comme l’épître la plus importante du Nouveau Testament :
« Tout le monde connaît votre obéissance au Seigneur » (Romains 16 : 19-20)
Ainsi, obéir ne serait pas une honte ? Mais un sujet de gloire et de fierté, et même un témoignage auprès des autres et
de l'extérieur, une marque de foi ?
L’autre soir se tenait la première séance du groupe ‘B comme Bible’. Soudain, en lisant le début de l'Evangile de
Luc, une expression fait problème : quand l'ange Gabriel vient annoncer à Marie la visite du Saint-Esprit, et qu’elle se déclare elle-même « la servante, et même 'l'esclave' du
Seigneur ». Cela a choqué : servante, esclave, cela ne pas nous laisser beaucoup de liberté...
Mais justement : pour le Premier Testament, il n’y a rien de plus haut, rien de plus flatteur, rien de plus honorable ni
rien de plus enviable que d'être considéré comme un serviteur ou un esclave de Dieu.
Même un puissant roi d'Israël, s'il n'est pas serviteur du Seigneur, n'est rien du tout – et la Bible ne l'épargne pas. Au
contraire, quiconque se fait l'esclave de Dieu est au sommet de la hiérarchie du respect. Le qualificatif le plus fréquent de David n'est-il pas celui-là : serviteur du Seigneur ? Comme
souvent dans la Bible, les valeurs s'inversent.
Pourquoi ? Simple : que pourrait-on rêver de mieux, quel objectif plus enviable pourrait-on avoir qu'obéir à
Dieu ? Quoi de mieux, vraiment ? Quoi de mieux qu'avoir la certitude d'agir toujours juste, et pour le bien de l'humanité ?
Du reste, qu'est-ce que la liberté ? De cela, nous avons parlé dès la première séance de catéchisme des lycéens. La
liberté, est-ce de pouvoir changer d'avis, de projet, de partenaire ou de vie toutes les 2 minutes ou toutes les 2 heures ? Ou est-ce de pouvoir être et faire ce qu'on a voulu être ou faire,
être fidèle à son propre projet ? Fidèle en particulier et à ce qu'on a voulu en le confiant à Dieu, parce que ses mains et sa vision sont dix mille fois plus sûres, et plus justes, et plus
positives que les nôtres ?
Alors, que rêver de mieux que confier, offrir, mettre sa vie entre les mains et au service de Dieu ? Il ne s'agit pas
d'être forcément pasteur ou moine, mais, quel que soit son métier – tapissier, chauffeur de taxi ou personnage politique – que rêver de mieux qu’être serviteur de Dieu, obéir. Obéir, une bien
belle vertu. Celle, dit l’apôtre Paul, qui permet d'être sage, sans douleur, pour faire le bien. Celle, dit Paul, qui permet d'être pur, sans regret, pour éviter le mal... Obéir. Mais oui.
Obéir et s'obéir les uns aux autres, volontairement, sans contrainte ni hiérarchie, comme des frères et sœurs. C'est tout
simplement essentiel, pas seulement pour que l'Eglise puisse fonctionner, mais parce que c'est une question d'amour et une question de foi.
Question d’amour…
Paul, dans sa lettre aux Romains, place l'amour en préalable de l'obéissance, tête d'une liste de prescriptions éthiques.
(Romains 12 : 9-19) Regardons :
« L'amour doit être sincère » : ce n'est pas seulement de la politesse, mais de l'amour véritable !
« Ayez de l'affection les uns pour les autres ». Oui, de l'affection. Autant que des frères et sœurs qui s'aiment, parce que vous-même, vous êtes aimés au-delà de ce que vous
imaginez.
« Mettez du zèle à vous respecter les uns les autres ». A nouveau, il ne s'agit pas du respect commun de surface, celui qui permet la bonne tenue sociale, non, il s'agit d'avoir du zèle pour
ce respect, d'avoir profondément du respect pour chacun et chacune des frères et des sœurs présents, parce que Dieu, lui, les respecte profondément. Comme Il respecte et aime chacun de
nous.
« Soyez actifs, et non paresseux » : vous n'êtes pas engagés pour ne rien faire…
« Et soyez joyeux, à cause de votre espérance », soyez joyeux, parce que ce qui vous est donné, et ce qui vous est promis, est encore beaucoup plus grand que ce dont vous avez
conscience.
Affection, respect, engagement, joie : et si l'on entend bien Paul, il ne s'agit pas d'humeurs, il ne s'agit pas de
sentiments ou d'envies, il s'agit d'ordres ! Par la plume de Paul, Dieu nous ordonne d'avoir de l'affection, du respect les uns pour les autres, de l'engagement concret, de la joie.
Des ordres. Il faut.
Alors il ne nous reste qu'à apprendre cette affection, ce respect et cette joie, qui n'ont rien à voir avec nos sentiments
spontanés. Si ce n'est, sans doute, celui de la reconnaissance envers Dieu. Apprendre, nous entraîner, travailler à, s'imposer d'avoir de l'affection, du respect les uns pour les autres, de la
joie ; parce que nous le méritons, puisque Dieu trouve que, tous, nous le méritons. Même moi. Même vous.
Et c’est ce travail-là, cet apprentissage-là, ce devoir d'amour-là, qui s'appelle servir le Seigneur avec ardeur.
Le moyen d’y parvenir ? Se souvenir toujours que Dieu aime et respecte celui que nous aimons moins ou qui nous
agace ; et qu'Il nous aime infiniment, nous, alors qu'Il a tant de raisons, que nous connaissons bien, et d'autres, que nous n’avons pas vues, de nous en vouloir... Dire merci à Dieu pour
ceux qui nous agacent, cela aide à les aimer.
Mais Paul n'a pas fini son énumération. Et il inverse tout bon sens et toute logique :
« Bénissez ceux qui vous persécutent ». Pas vos amis. Pas vos indifférents. Pas ceux qui vous agacent. Ceux qui vous persécutent ! Et c’est valable pour nous :
bénir ceux qui nous persécutent. « Accompagnez-vous les uns les autres, joie avec les joyeux, pleurs avec les désemparés » ; faites-le vraiment, donnez-leur du
temps !
« Pas d'orgueil, acceptez donc les tâches les plus modestes », elles sont dignes de vous, dignes de votre importance comme de votre place dans la société ou l'Eglise.
« Ne rendez pas le mal, mais le bien », « Vivez en paix », « Ne vous vengez pas ». Autrement dit, pas de rancune, pas de susceptibilité, pas de
bouderie, pas de colère, pas d'amertume entre vous, vous n'avez pas à défendre votre honneur, c'est Dieu qui s'en charge. Et Il s'en chargera justement à travers les frères et sœurs, parce que
les frères et sœurs feront eux aussi cet apprentissage de l'affection mutuelle, du respect, de la joie, de l'entraide, de l'accompagnement et de la modestie.
Oui, obéir, c'est une question d'amour. S'obéir mutuellement. C'est un ordre d'en haut. Alors faites, dit Paul, cet
apprentissage. C'est vous qui en bénéficierez.
On le sait bien, Dieu ne nous a pas appelés à la sagesse humaine, mais à sa folie... Béni soit-Il !
…et question de foi
La soumission fraternelle apparaît dans un texte célèbre, dont on ne voit jamais vraiment si on
l'applique, ni si on doit l'appliquer.
C'est Jésus qui parle, et Matthieu qui le rapporte : « Si ton frère vient à pêcher, va le trouver et fais-lui
des reproches seul à seul. S'il t'écoute, tu auras gagné ton frère. S'il ne t'écoute pas, prends encore avec toi une ou deux personnes pour que toute l'affaire soit décidée sur la parole de deux
ou trois témoins. S'il refuse de les écouter, dis-le à l'Eglise, et s'il refuse d'écouter même l'Eglise, qu'il soit pour toi comme le païen et le collecteur d'impôts. ».
Rude ! Intelligent et juste, en fait. En trois étapes, trois niveaux. Si nous mettons en application ce que nous venons
de lire chez Paul : apprendre et pratiquer l'affection mutuelle, le respect, l'entraide, alors nous n'aurons aucun mal à nous dire les choses entre nous. A signaler une blessure, à corriger
une erreur, parce que nous-mêmes serons prêts – réellement prêts, sans réserve – à accueillir nous-mêmes avec reconnaissance une remarque, un conseil, une remontrance. Alors la correction
fraternelle devient facile, naturelle, mais aussi limitée à ce qui importe vraiment. Et elle fait de nous des frères et sœurs, une communauté ; et en plus une communauté efficace.
L'obéissance mutuelle, c'est absolument une question d'amour.
C'est la première étape, qui ne devrait poser aucune difficulté pour des disciples du Christ. Le Christ, bel exemple
lui-même d'absence totale de révolte d'amour-propre. Jamais Jésus ne se vexe, ni se rebiffe, et pourtant… !
Mais, deuxième étape, si le frère ou la sœur refuse d'écouter... c'est donc qu'il y a une vraie difficulté. Une difficulté
soit de susceptibilité, soit de convictions différentes.
Alors on en parle. A plusieurs. Et c'est bien cela que nous essayons de faire dans l'Eglise, à tous ses niveaux. Et c'est là
que l'obéissance mutuelle devient et se révèle être une question de foi. Pourquoi, si je suis en désaccord avec mon président, mon pasteur, mon trésorier, ou un de mes paroissiens, pourquoi
devrais-je l'écouter, quand bien même il se présente solennellement avec deux ou trois autres membres de l'Eglise ? Pourquoi ? Parce que, et c'est ce que j'essaie de vivre
personnellement, parce que ceux qui viennent ainsi me voir ne sont pas que des individus, ni même des amis. S'ils sont frères ou sœurs en Christ, je sais déjà qu'à travers eux, c'est Dieu
lui-même qui me parle. Je sais que, derrière leur visage, aimé ou redouté, c'est le visage du Christ qui s'approche de moi. Je sais que, à travers leurs paroles peut-être maladroites ou même
désagréables, c'est un message de la part de Dieu qui m'est adressé.
Un peu comme dans un couple. Nous savons d'expérience qu'un couple ne peut s'aimer dans la durée que si chacun des deux
considère l'autre comme plus important que lui, si chacun des deux devine que derrière le visage de l'autre, surtout quand il est contrariant, c'est le visage de Dieu qui s'approche de lui et lui
parle.
En Eglise, c'est pareil. On s'obéit les uns aux autres, on s'écoute les uns les autres, on accepte les remontrances des uns
et des autres, parce qu'on sait que c'est Dieu qui parle à travers les frères et sœurs. Du coup, on les accueille avec une pleine reconnaissance – même quand ce n'est pas facile, mais cela n'a
aucune importance. Aucune importance, parce que l'ego, l'orgueil, n'a rien à voir là-dedans.
Et c'est pour cela que la troisième étape, présenter l'affaire devant toute l'Eglise, et en cas de désaccord considérer que
le récalcitrant ne fait plus partie de l'Eglise, ce n'est pas vraiment une sanction trop dure. Parce que cela peut signaler une défaillance de foi, un égarement spirituel, si le frère dont parle
Paul considère que lui-même ou son opinion est plus important que l'Eglise et que l'avis des frères ou sœurs. Autrement dit, que lui-même ou sa position l'emporte sur Dieu, ou sa foi en Dieu, ce
qui est pareil.
C'est pour cela que l'humilité n'est pas un vain mot ni une vertu périmée. L’humilité, c’est accepter que son ego passe
après, soit second et même sans grande importance, parce que si mon ego prend de l'importance, c'est que je n'ai pas besoin de Dieu. C'est que je ne vois pas l'essentiel, à savoir que je n'ai pas
à me justifier ni à chercher la considération des autres, parce que c'est Dieu qui me justifie. Et que si Dieu me justifie, je n'ai besoin d'aucune autre justification. Mon ego et mon
amour-propre n'ont plus aucun intérêt, mes certitudes personnelles pas forcément non plus. On ne peut pas blesser ou être blessé dans une Eglise. Cela arrive souvent, mais cela n'a aucun
sens.
Ah ! Mais justement, s'il s'agit de vraies convictions ? Serait-ce à dire que la majorité a toujours raison contre
l'individu ou la minorité ? L'Eglise contre le croyant ? Heureusement non. C'est d'ailleurs comme cela que la Réforme est née, Luther seul face à L'Eglise. Mais dans ce cas-là, s'il
s'agit vraiment de convictions et non d'egos froissés, alors nous changeons de registre et nous en venons aux trois critères de la conviction :
1 - Suis-je vraiment convaincu, en conscience, profondément et sincèrement, de ce que j'avance, sans que ne s'y glisse aucun
intérêt personnel, ni aucune question d'amour-propre ?
2 – Cette conviction intime est-elle vraiment conforme à l'Ecriture et à l'Evangile que j'ai reçu et que je reçois dans la
prière, sans aucune tricherie ?
3 – Cette convergence entre ma conviction et l'Evangile est-elle confirmée par les frères et sœurs en Christ ?
Parfois il peut y avoir débat sur ce troisième critère. On peut avoir raison seul face à tous. Mais il y faut en tous cas
les deux premiers, sans aucune réserve.
Et sinon, si l'accord entre soi et l'Eglise est impossible, soit à cause d'une victoire de l'ego et de la susceptibilité,
c'est à dire par manque de foi ; soit à cause d'une réelle divergence de conviction, eh bien l'Eglise de Jésus-Christ est vaste, et comporte un grand nombre de clochers. Mais je ne veux pas
m'arrêter sur cette troisième étape dont parle Paul, elle ne nous concerne pas, car nous n'excluons personne.
Et ce serait une mauvaise conclusion que terminer sur un échec. Nous n'irons pas jusque-là, l'exclusion, parce que nous
avons appris l'amour et la foi, que l'une et l'autre nous font considérer autrui comme plus important que nous, et le projet de Dieu comme porté par toute la communauté, pas par nous seuls. Nous
n'irons jamais jusque-là, parce que la soumission mutuelle, c'est de la joie, c'est de l'amour, c'est du pardon, c'est de la foi et de la confiance, c'est du respect spontané, c'est de l'humour,
c'est du bonheur... Imaginez : pouvoir en toute amitié se dire sans se vexer, se dire sans ressasser, pouvoir se distribuer le travail en se faisant confiance, c'est tout simplement être
heureux de faire ensemble, heureux de donner et recevoir ensemble, heureux de voir une Eglise croître et être heureuse… C'est du bonheur offert !
C'est précisément ce que dit Jésus deux versets plus loin :
« Je vous le déclare, si deux d'entre vous, sur la terre, s'accordent pour demander quoique ce soit dans la prière,
mon Père, qui est dans les cieux, le leur donnera ! »
J.P. Morley
Aumônerie de la Retraite Conseil Presbytéral
de Pentemont-Luxembourg, 24 et 25 septembre 2011
Lectures : Romains 12 :
9-19 et 16 : 19-20
Matthieu
18 : 15-17