Overblog
Editer la page Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
/ / /

Mots clefs : grâce-gratuité, confiance

  

Avez-vous déjà remarqué que le simple fait de dire merci peut changer le monde alentour ? Peut, non seulement nous changer nous-mêmes, peut, non seulement asseoir  de bonnes relations avec ceux qui nous entourent, mais réellement changer notre environnement ?

 

La Bible en donne deux exemples :

Premier exemple : Genèse 14 : 18-20. On ne sait pas très bien qui est Melchisédech, ce roi-prêtre légendaire dont le nom signifie ‘’Roi de Justice”, qui en plus régnait sur Salem, c’est-à-dire ‘’Paix” et auquel un psaume fait une brève allusion, reprise et développée dans l’Epître aux Hébreux. Mais dans ce passage de la Genèse, qui clôt un récit de razzia et de contre-razzia dont Abraham sort vainqueur, on peut remarquer quatre choses :

-          D’abord qu’on y partage le pain et le vin. Tiens, le pain et le vin… ;

-          Ensuite qu’Abram y arrive en vainqueur et en bienfaiteur, et que Melchisédech, qui est son obligé, le bénit ;

-          Mais que c’est pourtant Abram qui offre la dîme, une offrande, à son obligé ;

-          Enfin que les relations de hiérarchie, de domination ou de dettes sont chamboulées, au profit de remerciements réciproques et solennels. Melchisédech a reçu quelque chose d’inespéré.

Mais de son côté, au sortir de l’épisode, Abram a acquis un statut inespéré dans le pays où il n’est qu’un immigré, et aussitôt Dieu lui confirme sa fabuleuse promesse et la scelle par une alliance en bonne et due forme. Le remerciement réciproque a ouvert un statut à Abram l’immigré, et confirmé la surabondance de la promesse.

 

Deuxième exemple : Luc  9 : 10-17

Dans le récit de la multiplication des pains, c’est encore plus frappant. Cette fois il s’agit de pain et de poisson, comme à la pêche miraculeuse. Ils sont là, cinq mille hommes et femmes, dans cette campagne aride, alors que la nuit s’approche. Les renvoyer chez eux, afin que chacun de débrouille ? Non, répond Jésus : ‘’Donnez-leur vous-mêmes à manger”. Il récupère cinq pains et deux poissons, et… il prie, pour remercier. Que se passe-t-il ensuite ? On partage ces pains et ces poissons, et il y en a assez pour les cinq mille. Jésus a dit merci, et a aussitôt pu partager une nourriture que tous croyaient ne pas exister. Or elle est là, disponible, jusque-là invisible, mais finalement surabondante : on en remporte même douze paniers.

Tous ont reçu quelque chose d’inespéré.

 

Autrement dit, remercier, rendre grâce, produit quelque chose, change réellement  le monde alentour, rend visible ce qu’on ne soupçonnait pas, ou ne voulait pas voir, et permet de le partager. Et j’y vois un formidable éloge et une formidable incitation au don, à la confiance, à la gratuité. C’est cette gratuité-là qu’on ne discerne souvent plus, et que je voudrais rendre à nos yeux aujourd’hui.

On entend souvent dire que rien n’est gratuit, que finalement tout est intéressé, que même inconsciemment, on attend toujours un retour y compris du geste le plus désintéressé, y compris même de l’amour supposé gratuit par excellence…

On en fait même une théorie économique : seul l’intérêt  personnel serait le vrai moteur de l’économie, et l’addition des intérêts personnels assurerait la meilleure et la plus efficace des économies. Sottises. Comme si une économie dont seul l’intérêt personnel serait le moteur n’irait pas immédiatement, on le voit bien, jusqu’au chaos, l’implosion et la violence. Comme si toute économie n’avait pas pour premier fondement la confiance, à commencer par la confiance en la parole donnée ou le contrat signé ; la fiabilité de l’ensemble reposant sur la fiabilité de chacun.

Or la confiance est un don gratuit fait à autrui. Bien sûr, notre confiance et tous nos gestes, même les plus gratuits, produisent un retour ; bien sûr, il est vrai que quand on donne et quand on aime on reçoit toujours en retour, ne serait-ce qu’une satisfaction morale, une bonne conscience ou une image de soi, et le sentiment d’avoir discrètement aidé le monde à tourner.

C’est vrai. Mais c’est dérisoire. Et finalement négligeable. Parce qu’en vérité tout est grâce. La vérité, c’est que ce qui porte le monde, c’est au contraire la gratuité. Et nous entendons évidemment ‘’grâce” dans gratuité.

 

C’est la gratuité qui nous enveloppe et nous porte tous, tout simplement parce que nous sommes nés, et que nous avons survécu.

Nous avons reçu la vie, cet infini de la vie, et n’y sommes ni n’y pouvons rien. Nous avons reçu la vie, cette inouïe improbabilité que je sois vivant, moi, unique et reconnaissant, avec tout ce qui constitue un être humain, d’intelligence, de cœur, de force et de devenir ; cette inouïe improbabilité que tu sois vivant, toi, unique et reconnaissant ou reconnaissante, avec tout ce qui constitue un être humain, d’intelligence, de cœur, de force et de devenir

Nous avons reçu de grandir, et la plupart d’entre nous de passer quinze ou vingt ans à recevoir gratuitement nourriture, vie, santé, éducation, savoir, sécurité, affection, amour, sollicitude, organisation sociale d’une incroyable sophistication. Et tout l’héritage d’un million d’années d’humanité. 

Nous avons reçu de pouvoir vivre tout ce temps, celui de devenir adulte, gratuitement, absolument gratuitement. Sans même en prendre conscience, avant de pouvoir saisir notre vie et commencer de la maîtriser, d’y décider, de l’orienter, et à notre tour de pouvoir donner et rendre un peu de ce que nous avons reçu, de pouvoir participer à ce monde et cette humanité. Qui permettent à leur tour de donner la vie, d’accueillir et de faire grandir d’autres hommes et d’autres femmes.

Et même alors, même lorsque j’agis, que je crée et que je rends, même alors c’est la gratuité qui règne.  Déjà par exemple, quand je donne la vie : quand naît notre enfant, que fais-je ? Je dis merci. Je ne peux que rendre grâce et m’émerveiller. Car qu’avons-nous fait pour cela ? Nous avons accompagné, rien de plus, l’incroyable cadeau qui nous était fait. Le plus souvent nous ne savons même pas quand nous le concevons, alors de quoi se réclamer ? Tu as reçu, c’est tout, et quand ton enfant est né, même si tu l’as voulu, je te souhaite de l’avoir reçu comme un miracle !

Et s’il a grandi, c’est bien sûr que tu l’y as aidé, tu as veillé, travaillé, l’as entouré, protégé, mais – même s’il a été difficile, et odieux à l’adolescence, même s’il t’en veut aujourd’hui – il t’a rendu infiniment plus que ce que tu pensais lui donner ; et tu lui as donné infiniment plus que ce que tu pensais lui donner. Et tu t’es émerveillé qu’il grandisse de lui-même, t’aime, que son intelligence se développe, que sa capacité à agir à son tour dans le monde devienne réalité…

Et lorsque toi-même agis sur le monde, lui permettant ainsi d’accueillir de nouvelles vies, de créer de la richesse, de la sécurité et même de la beauté, et mieux encore de la solidarité, de l’amitié ou de l’amour, tu ne te l’attribues pas, tu t’émerveilles de voir tout cela exister. Tu t’indignes quand cela ne fonctionne pas mieux, avec tant de violences et d’inégalités, mais tu continues, toi et tes semblables, de tenir ta place pour que le monde tourne, si possible plus rond. Et quand tu y réfléchis, tu t’émerveilles, tu t’émerveilles encore, et tu dis merci.

 

Bien sûr qu’en tout cela tu reçois aussi, et c’est tant mieux. Tu es payé en sécurité, en argent, en confort, en respect, en amitié, et même en bonne conscience. Mais tout cela n’est rien, c’est dérisoire, un peu d’écume, du vent. La réalité, c’est que tu donnes infiniment et gratuitement au monde, aux tiens et à la vie ; mais que tu reçois infiniment, et infiniment plus, et gratuitement, de la vie, du monde et des tiens.

Oui, le monde est grâce. La vie est grâce. Et vous voyez bien que je ne parle que de Dieu ! Qui lui-même s’est révélé en donnant tout, sans condition, son amour total et la vie de son fils. Ce qui porte le monde, c’est bien, depuis l’origine, le don de Dieu : sa création initiale, son amour révélé en Jésus-Christ, son Esprit qui appelle l’humanité. Nous sommes redevables à l’infini de cette gratuité.

 

Alors, le matin, chaque matin, chaque merveilleux matin qui te donne une nouvelle chance, ou plutôt mille chances d’exister, de vivre, de rencontrer, d’agir, de découvrir, d’aimer, d’être aimé, d’être utile et donc de remercier ; chaque nouveau matin qui te donne, tout simplement d’exister… commence, malgré ta lassitude peut être, par dire merci. D’être là, de vivre, et de disposer de cette journée, de tous les mots qui s’y échangeront, de tous les gestes qui s’y produiront, de toutes les respirations que tu y feras, de tout ce que tu y donneras et recevras sans pouvoir le compter. Ce faisant, tu transformeras le monde. Tu le transformeras à tes yeux, et tu lui permettras de ressembler à ce qu’il est : une grâce, un cadeau.

Et cela, même si ta vie est rude. Même si à la loterie de la vie, tu n’as pas ou tu n’as plus tiré un bon numéro. Même alors il t’est offert de pouvoir dire merci, tu le sais. Je n’oserais pas l’affirmer si je ne voyais pas dans cette communauté-ci tel ou telle paroissien ou paroissienne souffrant chaque jour dans son corps, ou victime d’une difficulté à vivre, ou touché par une vieillesse invalidante, ou par la perte d’un très proche, ou confronté à la dureté de sa situation ; et que je ne les voyais pas continuer  pourtant de vivre pour donner, sans jamais se décourager ni se détourner d’une vie tournée vers le don, la gratuité, vers autrui, vers la grâce.

Ils sont, elles sont une grâce en eux-mêmes. Ils, elles sont par leur vie même une parole qui dit la grâce, la gratuité, l’infini don de Dieu, qui englobe et porte toute l’humanité et toutes nos vies.

 

Melchisédech et Abram avaient raison de dire merci ; Jésus sait qu’en disant déjà merci, c’est le miracle du partage qui va se produire. Et il nous invite à dire merci et à partager à notre tour, aujourd’hui, maintenant. Parce qu’il sait, annonce et promet qu’il y a un lien direct entre remercier et partager, que quand on dit merci, on est prêt à partager. Et c’est pour cela que remercier peut changer le monde alentour.

 

Alors, maintenant, nous n’avons rien de mieux ni de plus urgent à faire que de continuer de dire merci et de partager. ‘’Soyez toujours joyeux, dit Paul, priez sans cesse et rendez grâce en toutes choses”.

Non pas chercher notre bonheur, ni notre réussite, ni notre salut ­­ — nous sommes déjà sauvés, déjà pardonnés — mais nous occuper du bonheur des autres, du salut des autres, de la grâce offerte et à offrir à toute l’humanité.

Offrir la dîme au Seigneur,

partager le pain et les poissons, le pain et le vin.

 

Jean-Paul Morley

Culte du 6 juin 2010

 

 

 

Lectures :  -    Genèse 14 : 18-20

-         Luc  9 : 10-17 

-         I Thessaloniciens 5 : 16-18.

Partager cette page
Repost0