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26 septembre 2012 3 26 /09 /septembre /2012 15:50

 

La décision du tribunal de Cologne, condamnant un médecin et des parents pour la circoncision d’un jeune garçon, a été remise en cause par le Comité d’éthique allemand. Les arguments du tribunal de Cologne peuvent  cependant s’entendre. Il n’a pas tort de rappeler que « le corps de l’enfant est modifié durablement et de manière irréparable par la circoncision ». Ni que juridiquement « cette modification est contraire à l’intérêt de l’enfant qui doit décider plus tard par lui-même de son appartenance religieuse ».

On comprend que les autorités religieuses juives et musulmanes soient indignées. Et que plusieurs autorités chrétiennes prennent aussitôt la parole pour défendre la liberté de conscience et de religion. Mais ces libertés sont-elles fondamentalement contredites ? Imposer la circoncision à un enfant de 8 jours ne les contredit-elles pas davantage pour l’enfant ainsi marqué ?

Examinons toutefois les arguments des autorités juives et musulmanes :

« La Thora prescrit l’ablation du prépuce à huit jours ». Exact. Mais elle prescrit aussi de lapider les personnes adultères. Et les blasphémateurs. Elle autorise l’esclavage. Elle ordonne la remise de toutes les dettes et la restitution gratuite de tous les biens immobiliers tous les 50 ans. Autant de prescriptions parmi d’autres qui ne sont plus appliquées : la religion juive en a-t-elle pour autant perdu son sens ou sa force ?

« C’est un signe d’alliance avec Dieu qui marque dans la chair notre appartenance au peuple juif ». C’est précisément ce « dans la chair » qui pose problème, parce qu’il remplace la décision de foi et de conscience par une intervention physique imposée et définitive.

L’islam évoque volontiers un « acte d’hygiène et de propreté », mais cet argument a sans doute moins de sens aujourd’hui, en particulier dans nos sociétés hautement médicalisées.

Le droit et la liberté des parents de transmettre leur religion à leurs enfants est évidemment absolu, mais marquer la chair en est-il vraiment le moyen ? La religion se transmet essentiellement, sinon exclusivement, par l’enseignement, la pratique et surtout l’exemple de foi des parents et de l’entourage. L’imam Tarek Oubrou précisait que « Toute éducation est une forme de violence » : mais les travaux des pédagogues depuis plus d’un siècle, comme le droit et la pratique dans les sociétés occidentales, nous ont éloignés de cette conception.

Enfin, si l’éducation religieuse constitue un droit fondamental des parents, doit-on pour autant considérer la circoncision comme faisant partie de ‘l’éducation’ d’un enfant ? Et si c’était le cas de façon indispensable… qu’en serait-il des filles ? Exclues de cette éducation ? L’absence de circoncision les empêcherait-elles d’appartenir au peuple juif ? En réalité, la circoncision fait-elle le juif ou le musulman (lequel, d’ailleurs ?) ou fait-elle surtout le mâle ?

 

Dans Le Monde du 29 août, le docteur Guédon rappelle le drame de ces milliers d’hommes juifs qui ont payé de leur vie cette marque indélébile dans leur chair. Cela apparaît plutôt comme un argument pour réserver cette décision à chacun dès qu’il dispose de la maturité pour la prendre en toute conscience. Le docteur Guédon fait aussi un parallèle avec le voile islamique ou la burqa, mais précisément ces choix ne sont pas irréversibles.

 

Pour poursuivre la réflexion, observons que cette décision de Cologne est prise sur la même base que l’interdiction légale de l’excision (intégrité physique et liberté du choix de l’enfant), même si les conséquences de ces deux gestes sont à l’évidence sans commune mesure. Mais il est vrai que la pratique de la circoncision, comme celle de l’excision, est peut-être moins un enjeu religieux qu’un enjeu d’appartenance à un groupe ou à une catégorie. Et que du coup, cette question posée de façon inattendue à Cologne soulève l’une des questions les plus difficiles de notre temps : celui du conflit entre deux droits légitimes. En l’occurrence, ici, le droit au respect et à la sauvegarde de chaque culture particulière, face, là, aux droits considérés comme universels et reconnus par la communauté internationale, tels que les Droits de la personne et notamment ceux de l’enfant à son intégrité physique et à sa liberté d’appartenance et de convictions. On pourrait aussi invoquer le conflit entre la liberté de conscience des parents et celle de leur enfant mineur. A ce point, ne peut-on considérer qu’une des grandes avancées du XXe siècle est d’avoir fait naître cette difficile mais cruciale question éthique (le conflit droit contre droit) et qu’un des grands espoirs du XXIe siècle est que les Droits de la personne finissent par prévaloir partout sur les coutumes et les traditions culturelles ?

Il n’est donc pas interdit de penser que ce juge allemand soit précurseur, et qu’un jour toute atteinte à l’intégrité physique d’un enfant sera bannie et même oubliée.

 

Peut-être, un jour, ne sera-t-il pas inconcevable pour les communautés juives et musulmanes d’envisager des cérémonies de circoncision présentant toute la solennité, le rituel et la foi qu’elles ont aujourd’hui, mais en effectuant une circoncision purement symbolique. Le Premier Testament, du Lévitique aux prophètes, n’insiste-t-il pas lui-même sur l’importance de la circoncision du cœur – ou des oreilles ! -, c'est-à-dire la circoncision spirituelle, plutôt que sur celle du prépuce ? Un thème que reprendra l’apôtre Paul dans ses lettres. Un peu comme le baptême chrétien, qui remplace le plus souvent la « noyade » originelle par quelques gouttes sur le front. La décision réelle revenant ainsi au jeune, par exemple pour le Juif au moment de sa Bar Mitzva, comme chez les chrétiens au moment de la confirmation.

Ce baptême chrétien, geste purement symbolique mais plein de foi, qui préserve l’absolue liberté de choix du futur adulte, n’a pas empêché les chrétiens de transmettre leur religion, sa pratique et son héritage spirituel, d’ailleurs en grande partie reçu du judaïsme. Cette liberté de conscience, qui n’a pas besoin de marque physique, et qui est notamment au cœur de la conviction protestante, ne les a pas empêchés de s’identifier dans leur filiation d’une génération à l’autre.

La décision de ce tribunal allemand sera peut-être invalidée. Mais peut-être aura-t-elle permis d’ouvrir une réflexion devenue aujourd’hui légitime.

 

 

                                                                                         Jean-paul Morley

                                                                                         Docteur en théologie

                                                                                         Article transmis

et accepté par Monde

Lévitique 26 : 41 ; Deutéronome 10 : 13 ; 30 : 6 ; Jérémie 4 : 3 ; 6 : 10 ; 9 : 25 ; Romains 2 : 29 ; Philippiens 3 : 2…

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